Nous sommes réunis ce jour dans cette église de La Chapelle Gonaguet, pour rendre un dernier hommage à celui qui
a été le papa, le pépé, l'arrière grand-père, l'oncle, l'ami, un voisin, voire un collègue de travail d'un de ceux qui
se trouvent ici dans le recueillement.
Pour mon épouse, Geneviève, comme pour moi-même, Robert était notre unique Tonton, oui le seul, que nous avons connu
parce qu'on l'aimait. Mon tonton m'avait raconté beaucoup de choses sur son existence et j'éprouvais un énorme plaisir
à l'écouter. Je ne peux résumer sa vie en quelques mots, mais l'élan est donné ne serait-ce que par son exemple, celui
qu'il nous a laissé. Né le 19 avril 1922 à La Chapelle Gonaguet, c'était un authentique habitant de ce hameau
des Reyssoux, qu'il appelait au détour d'une balade "sa capitale". Mon tonton Robert a fréquenté l'école du bourg
où il a passé, en 1936 et avec succès, son
Certificat d'Etudes Primaire
(voir en fond de page). Il avait eu le plaisir de me montrer
ses cahiers de devoirs, les difficiles sujets de mathématiques de cette époque, qui font qu'aujourd'hui, un bachelier
aurait sans doute du mal à résoudre. Oui, Tonton, tu m'as souvent évoqué la sévérité de ton instituteur, son
impressionnante pédagogie, quelques fois frappante, sans oublier les quelques coups de pied au derrière qui sont restés
gravés dans ta mémoire.
La vie ne t'a pas gâté. Tes parents te racontaient souvent avant ta naissance, le passage des trains à la barrière
des Reyssoux, bondé de soldats blessés et mutilés qui rentraient du front de la 1ère guerre. Ah cette guerre !
Il a bien fallu que tu fasses la deuxième, toi qui étais avant tout, un homme de paix.
Tu te maries ensuite avec Irène, d'où naît André de cette union. Le reste de ta vie tu l'as consacré au travail
- celui de la terre et celui de cheminot -. Tu as été on le sait, un ouvrier exemplaire, qui n'hésitait pas à se rendre au
boulot à pied, jusqu'à Charniers, quand ta moto ne pouvait pas rouler sur la neige tombée au cours de la nuit. Le
Travail pour loi, l'honneur comme guide, constituent, mon cher Tonton, les deux valeurs que tu as su toujours incarner.
Tu aimais la vie, le travail, les vieux métiers, autrement dit "vivre au pays". D'ailleurs cette vie du pays, tu savais
mieux que tous l'incarner en parlant notre patois et en portant continuellement sur ta tête ce béret noir, symbole de
la Gascogne, comme tu savais si bien nous dire...
Oui, mon cher Tonton, j'ai passé des moments inoubliables auprès de toi. Les vendanges d'antan aux Serventies,
puis ensuite sur le plateau des Plâtreries, la fête du cochon, l'abattage des canards, tous ces rituels de cette
vie rurale réveillent en moi mille souvenirs, sans oublier la récolte de la mounjette, donc tu étais un inrassasiable
consommateur. C'est vrai, mon cher Tonton, que ta soupe de haricots avec son chabrol constituaient un rituel qui t'était
familier, voire indispensable pour reprendre avec ardeur le travail. Tout cela c'est bien fini. Fini de goûter le bacco
le jour de la fête du bourg, fini d'entendre tes éclats de rire, fini le petit vin de noah qu'il a fallu arracher
dans la douleur, fini de trinquer avec un verre de pineau au nom de notre amitié et de nos liens familiaux.
Oui, mon cher Tonton, plus que personne tu étais attaché aux valeur de la terre, à celle qui t'a nourri sainement et
qui t'a permis d'élever ta petite famille.
Et puis il y avait les bons moments de la vie, les repas de fête, dont celle de ton village. Et lorsque l'accordéon
enchaînait quelques notes, tu n'étais pas le dernier à tourner la valse.
Mon cher Tonton, nous sommes réunis ce jour avec ta famille et tes amis, pour te faire un dernier adieu. Qui pourra
oublier ton esprit jovial, ta simplicité, tes mots comme "finissez d'entrer", ton petit vin rouge qui scellait
tant de retrouvailles ? Aujourd'hui une page se tourne et je pense à cette vie rurale que tu as vécue, à cette roue qui
pousse inexorablement les journées, à ces souvenirs qui incarnent un passé et que j'ai essayé, en toute simplicité de
retracer.
Oui, Tonton, tu étais notre référence, notre patrimoine vivant, une sorte de carte postale qui incarnait la France
profonde, celle du bon vieux temps celle des traditions qui savaient nous rassembler. Tu nous as quittés discrètement
le 20 février au petit matin, plongeant ton fils André qui te veillait et tes amis dans une immense et indescriptible
douleur. Tu es parti loin, certainement vers d'autres rivages, pour abréger ton chapitre de souffrances et d'agonie
vécu sur ton lit de la clinique Francheville. Tu n'as plus eu la force de te battre contre cette sale maladie qui
te rongeait depuis quelques temps déjà. Et comme tu n'étais que douceur et gentillesse, il a fallu que cette fin de
vie te fasse tant de mal, pour en arriver là ! Cette vie qui dans bien des domaines s'est acharnée contre toi ces
dernières semaines, qui a fini par avoir raison de ton âme et de ton cur, qui eux n'ont pu résister.
J'espère, mon cher Tonton, que tu as enfin trouvé dans ton repos éternel de la sérénité. J'ai simplement envie de te
redire que tu manques et que tu nous manqueras à tous, jusqu'au jour où nous viendrons te rejoindre. En attendant,
essaie, de là-haut, de te pencher sur nous de temps en temps. Nous avons encore et toujours besoin de toi. Tonton,
je te dis et nous te disons tous un dernier au revoir !
Bernard PECCABIN
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