"C’est l’histoire, véridique, je vous dis, d’un brave paysan de Patraud, vous savez, juste de l’autre côté de la route,
dans le bois, qu’on appelait maisons ruinées à l’époque et ce brave paysan avait pour habitude de venir de temps en
temps au village. Oh, pas pour entrer à l’église, non, juste pour se remonter un peu le moral chez CHAUSSOU,
le beau-frère de BEAUGIER qui tenait là, un bistrot.
Ne lui en voulez pas, à ce brave paysan, la vie était rude et
boire “la chopine” était bien tout ce qui pouvait y avoir de douceur pour lui, à ce moment-là... Et puis, la chopine ne
faisait pas tout : on parlait aussi ! Et c’était le principal de parler. Parler de tout, parler de rien, parler
ensemble ! C’est ça qu’il faut retrouver dans ce village aujourd’hui. Pas la chopine, bien sûr ! Mais parler,
parler ensemble, parler de tout, de rien, ensemble… Tout cela, je l’appelle une âme de village et c’est
ce qui manque.
Bon, alors je reviens à notre brave Gonaguetois d’antan qui venait de Patraud, par le chemin de Fontenille,
pardi, le chemin le plus court pour venir de Patraud jusqu’au bourg, jusque chez CHAUSSOU pour parler...et boire
la chopine... C’était un verre de rouge, quelques-uns peut-être, de cette piquette qu’on peut encore trouver aujourd’hui
chez SIOZARD et dont on était fier...
Mais voilà t’y pas qu’un soir, un soir ordinaire pourtant, en repartant à Patraud après quelques verres
(un de trop peut-être, vous l’excuserez...) ce brave paysan crut voir un serpent, un gros serpent, vraiment
gros et qui lui barrait le chemin de Fontenille, là, juste dans la montée, à l’endroit où la frondaison rend
la lumière sombre et fait surgir de toute part des ombres étranges. Le gros serpent s’en va et notre bonhomme passe...
Mais voilà que le jour suivant, et l’autre encore et encore le suivant, le serpent, le même, gros et même de plus
en plus gros, était toujours là et s’en allait toujours à son approche.
Pensez que notre bonhomme en a parlé, chez CHAUSSOU !
On disait bien que quelque cirque aurait laissé échapper quelque boa ou autre python, mais on n’en faisait pas cas :
il fallait bien parler de quelque chose.
Jusqu’au jour de l’événement !
L’événement, c’était ce soir où il était peut-être un peu plus tard que d’ordinaire et sans lune ce soir-là, avec
un petit vent qui vous disait rien qui vaille. Et bien, le serpent était là ! Mais il avait dû grossir encore parce
qu’il faisait la longueur de la largeur du chemin !
Et cette fois-ci, au fur et à mesure que notre paysan s’approchait, et bien, notre serpent ne bougeait pas !
Il restait là comme une provocation en duel. Ce que pensa notre brave qui précipita son pas vers l’animal en levant
bien haut son bâton (tout le monde avait un bâton en marchant à cette époque, comme aujourd’hui un portable
si vous voulez).
Vous me croirez si vous voulez, le serpent, d’un seul coup de dent, lui coupa le bâton en deux morceaux. Et il
se trouve que quelques jeunes, ce soir-là, justement, à force qu’il en parlait de son serpent, quelques jeunes
l’avaient suivi de loin. Et ils ont vu, ils ont vu le bâton levé, ils ont entendu le bruit du bâton que le serpent
cassait en deux, ils ont vu et ils ont raconté, eux aussi, chez CHAUSSOU et ailleurs, partout, dans tout le village
et les hameaux de La Chapelle Gonaguet, comment le serpent, il était gros, et fort, et comment le chemin de
Fontenille, c’était chez lui, au serpent.
Pensez donc, plus personne n’osait prendre ce sentier parce qu’on y croyait fort à cette histoire de serpent, et d’ailleurs,
même les jeunes l’avaient vu. Enfin, croyaient l’avoir vu. Mais en tout cas, ils le disaient et on avait peur.
Et on a eu peur tout l’hiver et encore le printemps d’après.
Tout cela est du passé. Je ne sais pas si quelqu’un s’en rappelle mais moi qui suis un vieux, tout cela me bouleverse.
Et je vous raconte tout cela mais j’aurais fini par le croire...
Ensuite, le serpent a disparu et on a oublié d’avoir peur.
Mais on n’a pas oublié l’histoire du gros serpent du chemin de Fontenille ! "
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