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e progrès en milieu rural : témoignage.

                "Si nous faisons un retour en arrière, seulement de 45 à 50 ans, nous constatons que la vie des agriculteurs et les moyens de vivre ont énormément changé.

                En effet, vers 1930-35 la vie des agriculteurs était réduite à l’économie. Le principal était de vivre et de faire vivre sa famille avec la production de sa propriété et de dépenser le moins possible. Il est vrai que les rentrées d’argent n’étaient pas importantes. La surface des exploitations de La Chapelle, à l’époque, était en moyenne de 10 à 12 hectares de terres cultivables. Sur la commune il y avait 20 métayers. Dans les écuries, en principe, il y avait 2 paires de bœufs, une paire qui, ayant fait le travail durant l’année était engraissée et vendue au mois de janvier, février et une jeune paire qui avait été dressée pour faire la relève. Avec la vente des bœufs gras, on en achetait de tout jeunes. Certains agriculteurs les faisaient atteler par un marchand de bestiaux ce qui permettait de faire un petit gain. Beaucoup produisaient du tabac et cela aussi faisait une rentrée d’argent plus ou moins importante. Sur chaque exploitation, on élevait 2 cochons ; un qui sera vendu et un qui servait à la consommation familiale.

                Les agriculteurs mettaient beaucoup d’orgueil sur leur travail, sur le poids de leurs bœufs bien gras et bien brossés, sur le classement de leur tabac, ou encore sur le poids de leur cochon et l’épaisseur de leur lard constatée une fois tué.
Il y avait aussi, dans chaque exploitation, 10 à 12 brebis et les femmes se mettaient ensemble, à 2 ou 3, en mélangeant les troupeaux, pour les garder.
Les rendements n’étaient pas comparables à ceux d’aujourd’hui. Le blé rendait 7,8 pour 1. Cela faisait 40 à 50 sacs de 80 kg de blé par exploitation et un peu de céréales secondaires pour les volailles. Sur cette récolte de blé, il fallait prélever la semence, le pain, c’est à dire donner au boulanger le blé qui correspondait au pain que l’on allait manger durant l’année. Le pain, nourriture de base de la famille souvent nombreuse, exigeait un bon nombre de sacs. Chaque famille était souvent composée de trois générations. Le maréchal ferrant était également payé avec du blé. Il établissait un forfait pour chaque exploitation au vue du nombre de bêtes à ferrer durant l’année, du nombre de tranches à aiguiser et de la surface du labour pour l'entretien des socs de charrue. On payait alors avec 1 ou ½ sac de blé. Cela permettait de ne pas débourser d’argent. Même le curé était payé avec du blé pour le denier du culte !

                Il fallait cependant payer l’impôt foncier, quelques outils comme des faux, des tranches, des réparations de toitures, l’assurance incendie et on tâchait moyen d’en mettre un peu de côté pour les dépenses imprévues car personne n’était couvert par des assurances en cas de maladie ou d'accident. En plus de cela, on ne pouvait compter sur une retraite et les gens auraient aimé avoir un peu d’économies pour subvenir à leurs vieux jours. C'est pourquoi, les intérieurs des maisons d’habitation restaient très modestes avec une grande cuisine meublée d’un gros buffet avec vaisselier, une pendule, une grande table souvent en cerisier et deux bancs. Vers le plafond on pouvait observer le râtelier, une planche sur laquelle étaient rangées 3 ou 4 tourtes de pain. À côté, suspendue et recouverte d’un papier, pendait une grosse tranche de lard pour le hachis et souvent, dans le coin de cette cuisine, il y avait un lit, parfois fermé avec des rideaux. C’était le lit des grands-parents. Les autres couchaient dans une autre grande pièce qui était la chambre. Comme moyen de chauffage, il y avait une grande cheminée dans la cuisine et c’est là que l’hiver, on aimait à se retrouver avec quelques voisins pour veiller autour du feu.

                Les femmes tricotaient chaussettes ou gilets en racontant les nouvelles locales, des devinettes ou des contes qui captivaient l’attention des enfants. Les hommes parlaient de bon cœur de la chasse ou de leur service militaire en jouant aux cartes. La grand-mère faisait le café noir dans une grande casserole. On cuisait des châtaignes ou des pommes devant la braise et, vers minuit, on se quittait.
Ces veillées créaient une bonne ambiance de fraternité. Les conversations n’étaient pas polluées par la politique. L’idéologie des agriculteurs allait dans le même sens. Il est vrai qu’il n’y avait aucune information, aucune ambition d’accaparer le pouvoir. C’est pour cette raison que les gens s’entraidaient beaucoup pour les moissons, pour les foins, pour les sarclages ou pour couper la bruyère. On aimait alors à se retrouver en équipe et, à la fin de chaque récolte, on faisait la "gerbabaude", une fête de bonne chair souvent bien arrosée... On ne mangeait pas de choux à la crème, mais de pleins saladiers de crépaux et les gens étaient heureux.

                Les gens du village se rassemblaient aussi pour une autre fête de veillée : l’énoisage. Ils se retrouvaient dans une maison où l'on cassait les noix pour trier les cerneaux. Les jeunes garçons tâchaient moyen de se trouver assis à côté d’une jeune fille et quand les hommes tombaient sur une toute petite noix que l'on appelait "cocodou" ou "péroulier", ils la faisaient passer au garçon et celui-ci devait embrasser la jeune fille qui se trouvait à côté de lui. Souvent il y avait de la timidité ; les jeunes filles rougissaient plus vite qu’aujourd’hui. Ha ! Ce n’était pas les surprises-parties d’aujourd’hui mais cela amusait tout le monde. À la fin, quand l'énoisage était terminé, on réveillonnait. On mangeait "la frotte à l’ail", des oignons crus au sel ou des grillons. Le lendemain, les hommes portaient ces cerneaux au moulin pour en extraire l’huile qui servait pour la consommation, ce qui fait que l’on n'achetait pas beaucoup d’épicerie. C’était toujours dans un souci d’économie. À cette époque, la production n’était pas importante, mais ce qui était important c’est que pour faire de l’argent, il fallait pouvoir vendre. Or, pour vendre, il fallait pouvoir se déplacer et les moyens de locomotion étaient très réduits.

                La commune était desservie par une ligne de chemin de fer. Mais, pour prendre le train, il fallait faire 3 ou 4 km à pied auparavant car la gare était située entre la commune de La Chapelle et la commune de Mensignac. Il y avait aussi une halte à Beaulieu. Je vois encore les femmes partir avec un panier à chaque bras pour aller prendre le train. Ce n’était pas très pratique, surtout que, depuis la gare de Périgueux, il fallait encore monter au marché et, pour l’heure voulue du retour, il fallait refaire le chemin en sens inverse, même si on n'avait pas tout vendu. Cette ligne de chemin de fer était, à cette époque, d'une grande importance. Elle reliait Périgueux à Ribérac et ensuite, rejoignait la ligne d’Angoulême. Il passait 9 trains par jour, de voyageurs et de marchandises. On transportait de la paille que des courtiers achetaient dans les campagnes et qui servait pour la troupe, du bois, des bestiaux, du ballast et parfois même de la troupe ! Ce moyen de transport a été vite supplanté par les services de cars qui se sont mis à circuler sur la nationale. C’était plus commode pour les voyageurs car ils s’arrêtaient à tout bout de chemin.

                Le progrès a commencé par l’installation de l’électricité vers 1935. Les gens, mais pas tout le monde, par mesure d’économie ou par peur, se sont fait installer une lampe dans la maison. Certains ne l’avaient pas voulue au premier abord. On ne pensait pas, à cette époque, qu’on s’en servirait pour le café ou pour se raser !
Quelques temps plus tard, sont arrivés dans la commune les premiers tracteurs, des "Fordsons". Il y en a eu trois. Dès qu’on entendait pétarader, tout le monde allait les voir. On s’en servait pour faire les grands labours. La moissonneuse-lieuse aussi était une merveille de mécanique : une seule roue qui, en tournant jusqu'à terre, faisait se mouvoir un grand nombre de pignons dans tous les sens. C’était formidable ! Aussi allait-on voir le travail réalisé par cette mécanique moderne comme on irait voir un spectacle... Un grand nombre d’agriculteurs trouvait que cela faisait du mauvais travail : les épis traînaient, quelques gerbes étaient loupées et, sous la gerbe qui était projetée par terre, il y avait encore du grain. C’était du gaspillage !
Les premières râteleuses aussi sont apparues vers 1938. Mais là aussi, les anciens avaient plaisir à faire remarquer qu’il restait du foin dans les aspérités du pré...

                Ce que l’on a trouvé de très commode en confort, c’est l'arrivée du gaz. Je me rappelle des premiers butagaz. C’étaient deux feux tenus par une armature que l’on installait sur une petite table avec la bonbonne par-dessous. C’était surtout commode le matin, pour faire chauffer le café. Tourner un bouton, craquer une allumette et le temps de sortir pisser, le café bouillait déjà...
C’est en 1937 que j’ai vu aussi les premières voitures dans la commune, des "Ford" décapotables. Déjà, à ce moment-là, les gens, surtout les jeunes, commençaient à aspirer à tous ces moyens qui, pensaient-ils, leur permettraient de vivre, de travailler plus aisément.

                Aujourd’hui, pour être sincère, il faut dire que ce progrès qui n’a fait que se développer, les rendements qui ont progressé, ont apporté aux agriculteurs qui n’ont cessé d’aspirer à tout ce progrès, une vie plus confortable.
Mais on peut se poser un point d’interrogation car de plus en plus, nos productions ont un coût qui ne cesse, lui aussi, de s’accroître, au contraire de l’époque que nous venons de relater. L’agriculteur a perdu de son indépendance, il est aujourd’hui tributaire des produits découlant de l’industrie ainsi que des matières énergétiques.

                Cela me paraît très important, et même inquiétant..."

Maurice RAPNOUIL

Voir aussi cet autre témoignage chapelois...





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