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'est l'histoire d'une famille ordinaire, de condition très modeste, à l'image de la plupart
des familles qui "immigrèrent" à La Chapelle en cette fin du XIXème ou début du XXème
siècle. Une famille qui traversa ce terrible siècle, celui des deux grandes guerres qui est aussi
celui d'une fulgurante transformation des conditions de vie...
Certaines familles ne quittèrent plus le sol gonaguetois. Elles forment un socle d'anciens
dont le nombre relatif fond comme neige au soleil devant l'arrivée de nombreux nouveaux foyers
dans un village à la démographie galopante. Mais elles portent en elles la mémoire de ce siècle
passé et constituent la racine pivotante de la vie de notre village...
C'est pourquoi j'ai voulu "graver sur la toile" l'une de leurs traces, une lente, et parfois
tragique, traversée du siècle, où l'on s'arrache d'une glèbe de misère et d'errance jusqu'à
rejoindre la vie, somme toute, confortable d'aujourd'hui...
C'est là d'où, pour la plupart, nous venons...
l arriva sur la commune juste après la grande guerre, guerre
épouvantable dont il réchappa par miracle. Il s'était élevé à Mensignac et prit pour femme
une fille MERCURE de La Beaucherie.
Nous étions en 1919 et il fallait survivre et donc trouver un travail...
Le choix était limité : la tuilerie mécanique des LABORIE, aux Landes,
avait péri dans la guerre, quelques maçons, charrons, des commerces rares telles la boulangerie de
Francette DESJEAN, l'épicerie des FEYDY au bourg, celle du Puy de Merlande
ayant, elle aussi, péri, quelques entreprises comme la fabrique de poteaux de mines de
Gaston LALET aux Forêts mais
surtout, surtout, il y avait la terre, la terre à travailler, terre appartenant à
quelques riches familles, les PINOTEAU aux Brunies qui avaient mis en place
une crèmerie moderne et exploitaient de nombreux vignobles, les de MONTIFAULT au bourg,
les RUELLE à Malledent, les HOMERY à Porchère...
Quelques familles bourgeoises venaient aussi grossir le nombre des propriétaires terriens de
La Chapelle : les MARCHADIER, LABORIE, LASSAGNE,
VIGIER, HAUTEFORT...
Il y avait enfin quelques fonctionnaires de Périgueux ( percepteurs, juges, receveurs,
notaires) qui possédaient des résidences secondaires mais n'offraient guère d'emplois...
C'est à Porchère, chez les HOMERY, famille de pharmaciens, que notre homme s'engagea, comme
domestique, un an ou deux seulement, le temps de trouver une autre place de
domestique un peu plus loin, au Pas de l'Anglais, sur une propriété dont M. BAUDET
était le régisseur et qui appartenait à un ambassadeur de Marcillac...
Las, en 1930, il mourut d'un "sang glacé" (c'est ainsi qu'on nommait la congestion
pulmonaire), après avoir eu chaud en brûlant des ronces et froid en taillant la vigne...
La vie était rude et fragile en ce temps-là...
Le lendemain, entendez-moi bien ! , le lendemain donc on expulse sa femme, Luisa
avec ses deux enfants, Maurice et Robert !
ela illustre bien la précarité de l'existence des petites gens, à l'époque où l'on ne pouvait
compter que sur la bonté des plus nantis, avant de devenir mendiant soi-même... Que de misères
insoupçonnées n'ont-elles pas jalonné la vie de nos ancêtres... Point d'état-providence,
point de journaux qui viendraient dénoncer l'inacceptable, aucun autre garde-fou que la pitié
de l'homme pour son frère...
C'est ainsi que la famille fut recueillie par les HOMERY, leur ancien employeur...
Il y avait une barrière aux Reyssoux, la barrière de "pierre dure".
Elle avait été tenue, en 1900, par Berthe POIRIER née BLADOU, mais était tenue, à présent, par un cheminot
qui proposa à Luisa de le remplacer. Courageusement, avec ses deux enfants à élever,
elle se rendra à pied, tous les soirs, jusqu'au pont de "la Perliche", à 200m de la petite gare
où ils vivront, pour faire brûler le "lampion", une lampe à pétrole, fixée en haut d'un mât et que l'on descendait
grâce à une chaîne pour l'allumer en soirée et l'éteindre au petit matin...
Elle aura ainsi parcouru quelques 3000 km à pied !
Et comme elle n'était pas femme à se laisser aller en se lamentant, elle se mit à la couture,
au crochet, au tricot, vendant ainsi aux cheminots le fruit de son adresse manuelle...
Son poste de garde-barrière lui rapportait 400F par mois, quand la tourte de pain de 10 livres
valait 14F...
En 1939, elle réussit pourtant à s'acheter une chambre neuve en chêne, avec armoire à glace,
pour 2000F. Elle fut aussi la première à avoir une gazinière à 2 brûleurs. "Formidable, comme
disait un homme du pays, juste le temps de pisser et le café est chaud !"
Mais surtout, elle n'a plus besoin de dire merci comme à Porchère !
C'est peut-être là, un progrès essentiel, un tournant dans une insertion sociale : accéder
à sa dignité d'homme, de femme, libre et responsable...
yant connu la précarité, elle tendit à son tour la main à plus malheureux qu'elle : en 1939, elle
hébergea Mme POTARD avec ses deux enfants, dont le mari était militaire et ne reviendra qu'en 1944.
C'est en effet dans le malheur ou les difficultés, que se révèle souvent
la grandeur d'âme...
Une autre anecdote, qui n'est cependant pas certifiée, pourrait illustrer cela : le 20 juin 1944,
vers 13h les Allemands arrivent
en voitures à La Chapelle et y effectuent une rafle. Ils réquisitionnent le secrétaire de mairie,
Léopold GERVAISE (le Maire, Adrien GERVAISE, étant resté aux Reyssoux) et amènent les captifs, Michel JANAILHAC,
Maurice RAPNOUIL, un Espagnol, un Polonais, un père et son fils lorrains, René BAUGIER et André RAT, à la mairie pour
les interroger à propos d'armes qui auraient été parachutées dans le secteur. Et ils
embarquent RAT et BAUGIER pour un sort probablement peu enviable... C'est alors que serait intervenu
un milicien, LASSAGNE, qui les fit délivrer...
Quelques temps après, c'est BEAUGIER, proche de la résistance et des communistes de l'époque,
qui aurait sauvé la vie de LASSAGNE en le prévenant
de l'imminence de son arrestation par le maquis. LASSAGNE s'enfuira dans le nord, où il
rejoindra sa femme. Il sera jugé et dépouillé de ses biens après la guerre. Ainsi deviendont
municipales l'ancienne mairie et les bâtiments de la Poste...
Exemple de fraternité et de bon voisinage, faisant fi des idées politiques.
Remarquable en ces temps troubles et propices aux bas instincts...
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extrait d'un cahier de compte
rédigé par Robert
(mois d'avril 1941)
(cliquer pour agrandir)
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es enfants grandirent donc avec la guerre. Robert, après quelques péripéties, vit sa jeunesse
fauchée par cette saloperie de guerre...
Le plus jeune, Maurice, aidé après les heures de classe
par l'institutrice, Mme BONIS, passera son certificat d'études le 17 juin 1940, à 13 ans et demi,
et louera ses services de journalier agricole à mi-temps chez les TESTUT et chez les
DUTEIL. Il suivra ainsi les traces de son père et, pour 4 500F par mois,
deviendra ouvrier agricole à la Roche Beaulieu, chez M. POULIQUEN, dans la ferme
qui existe encore aujourd'hui, face au collège.
Pour peu de temps, puisqu'une place de plongeur dans un hôtel de Périgueux s'offre à lui,
pour...15 000F mensuels ! Aucune hésitation possible...
Deux ans plus tard, M. HOMERY décède. Son fils descend de Paris et insiste auprès de
Maurice pour qu'il tienne la ferme de Porchère, lui proposant, pour 7000F mensuels,
une vie de paysan dans une totale autonomie de gestion...
L'amour de la terre fut le plus fort et ramènera Maurice à Porchère en 1950...
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e destin de Maurice était scellé ! Il trouva là plus qu'un simple travail : il y greffa toute
sa vie et tout son bonheur !
Pour l'achat des chevaux, il se faisait conseiller par Pierre OLIVIER, fermier de M. RUELLE
à Malledent. La famille OLIVIER avait succédé aux
ZAWISMY, des Polonais, dans l'exploitation de la ferme de Malledent qui
était alors une belle exploitation rentable, de 30 ha, belle mais dure à travailler par sa terre
compacte et les pentes de ses champs alentour...
Il se lia d'amitié avec cet homme...avant de se lier d'amour avec sa fille !
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Ainsi, en août 1951, il épousa Anna OLIVIER qui lui donna, par la suite, 1 fille et
2 fils, dont le plus âgé deviendra instituteur et sera directeur de l'école de La Chapelle
Gonaguet de 2002 à 2004... [ voir le
souvenir de leurs noces de diamant ]
Mais pour l'heure, il fallait s'occuper des vaches, jusqu'à 23, tenir les 14 ha de
Porchère auxquels s'ajoutèrent les 15 ha du Sézalard, la propriété voisine.
C'était beaucoup quand on sait que les exploitations de l'époque avaient une
superficie moyenne de 8 à 10 ha...
De 1951 à 1954, ils vendront du beurre.
Jusqu'en 1998, ils produiront du lait, 80 à 100 litres par jour, et le transformeront en fromage,
jusqu'à 4 tonnes par an ! , qu'ils vendront, plié, aux marchés de Périgueux et de
St Astier...
Ils faisaient les comptes, méticuleusement rédigés dans un cahier d'écolier, et
reverseront, d'abord la moitié, puis, le tiers des bénéfices aux HOMERY...
extrait d'un cahier de compte
(1953) -->
(cliquer pour agrandir)
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é à La Chapelle, Maurice est un enfant du village, enraciné de l'école à l'église, et,
plus tard, à la mairie...
Il fut enfant de chur, puis sacristain, sous le "règne" de l'abbé MENU, qui
devint son "père spirituel"... Lequel venait le chercher, souvent le matin et pendant la classe,
pour les enterrements, les mariages et il n'était pas rare que, l'après-midi de ces jours-là,
il fut interrogé par M. BONIS sur les leçons du matin qui lui faisaient défaut...
Un athé, ce M.BONIS. Parti même à la chasse lors du baptême de sa fille...
C'est aussi chez le Père MENU que le jeune Maurice bêchait un coin de jardin, s'adonnant ainsi déjà
à ce qui deviendra, plus tard, l'agir essentiel de sa vie...
Maurice entrera au Conseil Municipal en 1959 et aura l'honneur de marier
M. PRADIER et la petite-fille HOMERY, Geneviève BRUN, en 1965 ! Il en gardera un souvenir
très ému...
Pour l'anecdote, notons que ce mariage civil fut le premier d'Arlette RAYNAUD, la
toute jeune et toute nouvelle secrétaire de mairie, succédant à celui qui deviendra son
beau-père, Gilbert DUPONTEIX. Elle assurera cette charge jusqu'en
novembre 2006...
e journalier, à métayer, puis fermier, et enfin agriculteur-propriétaire, tel fut le parcours
de cette humble famille à travers le siècle dernier. En effet, à force de travail et
d'opportunités saisies, Maurice et Anna acquirent une petite propriété sur Chancelade
qui leur permit, sur 4 ha de maraîchage, de vivre aisément du produit des marchés...
"Je crois bien avoir réussi ce que mon père aurait voulu faire : il espérait être un jour chez lui !
Moi aussi, j'ai toujours voulu avoir un petit "chez soi"...
Il est vrai que "la providence" m'a toujours accompagné... Mais n'est-ce pas Dieu qui parle au cur
et désire en soi-même son propre bonheur ?"
Quelques réflexion de Maurice RAPNOUIL, homme de la terre, familier du labeur et de l'effort :
témoignage et réflexion sur le progrès...
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Dieu, cet inconnu...
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